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La Regata Storica vue par Metz-Noblat en 1858
« Pour jouir de ce spectacle on ne pouvait être mieux placé que Madame de Quercigny, car les concurrents partent du jardin public, et, longeant la riva dei Schiavoni, suivent dans toute sa longueur le grand canal jusqu'à la hauteur de Cannaregio, où est planté le paletto.
Puis, après en avoir fait le tour, reviennent à force de rames sur leurs pas jusqu'au palais Balbi où est placé le but.
Des fenêtres de son appartement on les verrait donc passer deux fois, sans compter qu'on découvrait parfaitement la tribune élevée à l'entrée du rio Foscari, et sur laquelle devaient être distribués les prix.
J'allai chercher place chez ma respectable parente, et j'y rencontrai avec le vicomte de Maupuis plusieurs autres légitimistes français.
Le comte de Chambord, que je voyais pour la première fois, était un peu plus haut, au balcon de la Municipalité.
Le coup d'œil du canal était merveilleusement pittoresque.
De tous les balcons et toutes les fenêtres remplis de spectateurs pendaient des draperies de soie de toutes couleurs, mais au milieu desquelles dominaient le rouge, l'orange et le cramoisi.
Les tons brillants de ces étoffes flottantes formaient un harmonieux contraste avec les teintes sombres de la pierre et du marbre noircis par le temps.
Le Canalazzo était couvert de bateaux pavoisés de toutes les formes et de toutes les dimensions. On aurait presque pu passer à pied d'une rive à l'autre.
Les gondoles ne se rangeaient qu'à l'approche de quelque riche bissone, ornée de banderoles, poussée par douze ou seize vigoureux rameurs en costume de fête, et portant quelque haut personnage.
Les jours de regata, le fonctionnaire autrichien a le bon goût de s'effacer, et de laisser les honneurs du premier rang à l'autorité municipale.
La bissone du podestat (cette dignité était alors occupée par un Correr) fut acclamée sur toute la ligne par d'enthousiastes vivats.
Dans ce dernier et pâle vestige du gouvernement de Venise par l'un de ses enfants, la foule saluait l'indépendance perdue.
Le coup de canon qui donne le signal de départ se fit entendre.
Peu à peu quelqu'ordre se mit dans cette multitude confuse de bateaux.
On fit place aux rameurs qui se disputaient le prix, et qui, aux applaudissements du public, parurent bientôt à notre gauche.
Douze gondoles, beaucoup plus petites et plus légères que celles dont on fait ordinairement usage, étaient engagées.
Sur chacune d'elles se trouvaient deux rameurs. Ceux-ci portaient un costume brillant et commode, avec le bonnet et la ceinture aux couleurs de leur parti.
En tête s'avançait la gondole conduite par Marco, et immédiatement après celle de Barbarigo qui n'avait pas dédaigné de concourir avec de simples barcaroli.
Grande fut la surprise d'Isabelle en reconnaissant le jeune patricien, et en le voyant prendre part comme acteur à cette fête publique.
— En Angleterre, les lords courent bien le steeple-chase, répliquai-je.
— Eh bien, je parie pour lui, dit-elle en baissant les yeux.
— Et moi pour le bonnet rouge, fit le vicomte de Maupuis. Que gagez-vous?
— Tout ce qu'il vous plaira, reprit Isabelle d'un air résolu.
— Vous êtes bien téméraire, Mademoiselle. Comment pouvez-vous espérer que ce grand escogriffe à barbe blonde, battra un gaillard à tournure athlétique comme le gondolier qui a déjà gagné sur lui plus d'une longueur de barque ?
Je ne sais quelle fée invisible avertit les amoureux, mais à l'accent de la voix il était facile de deviner que le vicomte de Maupuis ressentait une antipathie marquée pour Barbarigo, qu'il ne connaissait cependant point et dans lequel il n'avait aucun sujet de voir un rival.
— N'importe ! répartit avec un malin sourire Isabelle, à qui le sentiment de son futur n'avait peut-être pas échappé.
J'ai foi dans la bonne étoile du grand escogriffe.
Quelque chose me dit qu'il doit l'emporter sur son concurrent, bien que celui-ci ait pris de l'avance.
Je regardai ma cousine. Elle détourna la tête.
Les gondoliers passés, la confusion et le bruit de la foule redoublèrent.
Pendant plusieurs minutes les accords des orchestres, places de distance en distance, ne nous arrivèrent plus qu'à intervalles et étouffés.
L'approche des bissone qui marchaient en avant des gondolines pour leur faire faire place, ramena l'ordre et le silence dans l'innombrable flotte des gondoles accumulées de chaque côté du canal.
Par dessous l'arc du Rialto, nous découvrions quelque peu les concurrents. Marco fut un instant très à découvert pour nous.
— Voyez-vous, s'écria M. de Maupuis d'un air triomphant : votre blondin n'est plus même le second. On ne le voit seulement pas.
— C'est-à-dire qu'il a tant d'avance qu'il vous était caché par la grande bissone qui marche en tête, répliqua Isabelle en frappant des mains.
Barbarigo était, en effet, de trente pieds en avant de Marco, et, penché sur sa rame, par un effort lent et soutenu imprimait à sa gondoline un mouvement uniforme et rapide.
Elle glissait sur l'eau sans la refouler, ne laissant derrière elle qu'un sillage presque insensible.
Très en avant de tous les autres, Marco suivait, faisant bondir la sienne à chaque coup d'aviron, mais à chaque seconde perdant quelques pouces.
Une salve d'applaudissements accueillit le jeune patricien. “Le rouge au noble Barbarigo” criait-on de toutes parts.
Il faut savoir que les prix sont des bourses attachées à des drapeaux de diverses couleurs.
Le premier a la couleur de l'étendard de Saint-Marc (note e-venise : la bannière rouge, la bandiera rossa).
Viennent ensuite le bleu, le vert et le jaune.
Par un usage dont l'origine est inconnue, c'est un petit cochon de lait qui est le lot du drapeau jaune.
Arrivé à deux pieds du but, Barbarigo s'arrêta court, et, laissant le drapeau rouge à Marco, vint, après avoir fait pivoter sa gondoline sur elle-même, à la rencontre de ses concurrents au milieu d'un tonnerre de vivats.
Des yeux je cherchai Isabelle.
Elle était visiblement émue, et comme fière du triomphe de Barbarigo.
La figure de M. de Maupuis, au contraire, exprimait le dépit et la colère. »
Metz-Noblat Bluettes 1858
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