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La chambre de George Sand et d'Alfred de Musset à l'hôtel Danieli
Les deux célèbres amoureux arrivent à l'hôtel Danieli le 31 décembre 1833 et ils y resteront jusqu'au 13 mars 1834, date à laquelle ils s'installeront calle delle Rasse, juste derrière l'hôtel, dans un appartement meublé.Nous avons la chance d'avoir un témoignage à la fois intéressant et très émouvant concernant la chambre qui était occupée par le couple romantique à l'hôtel Danieli.
Une chambre aujourd'hui plus petite, celle de Georges Sand a depuis été divisée en deux, l'autre partie est devenue le bureau du directeur.
Un témoignage d'autant plus captivant qu'il met également en scène Monsieur Danieli lui-même, le fils du premier propriétaire de l'hôtel Danieli, évoquant Alfred de Musset, le médecin Pagello ou encore Honoré de Balzac.
L'auteur de ce témoignage est Louise Colet, qui avait eu une liaison avec Alfred de Musset. Au moment où elle vient séjourner à l'hôtel Danieli, Alfred de Musset est décédé depuis deux ans.
Au cours de la nuit, elle a fait un songe dans lequel son amour défunt, Alfred de Musset, lui est apparu. Le jour se lève et voici son récit :
« Vers midi, pendant qu'on faisait ma chambre, j'allai causer avec la fille du maître de l'hôtel, une douce et cordiale personne qui aimait à parler avec moi de la France.
Je trouvai près d'elle son père, le vieux et intelligent Danieli.
Poursuivie par la voix de mon songe, je lui dis tout à coup :
— Vous qui connaissez si bien Venise, vous devez savoir où est situé le palais Nani ?
— Le palais Nani, répliqua-t-il étonné ; mais, madame, vous y êtes.
— Eh non ! Votre palais se nomme le palais Bernardo !
— Bernardo Nani, répartit l'hôtelier ; il appartenait, il y a vingt cinq ans, au comte Nani-Mocenigo, qui lui avait donné son nom ; j'en fis l'acquisition après la mort du comte, et il reprit alors sa vieille dénomination, de palais Bernardo.
— En ce cas, repris-je avec vivacité, vous avez connu Alfred de Musset, il a logé ici ?
— Alfred de Musset ? Répéta M. Danieli, comme cherchant à se ressouvenir.
— Oui, repartis-je, un poète français.
— Ce qu'il y a de certain, poursuivit M. Danieli, c'est que j'ai eu chez moi un de vos auteurs célèbres, M. de Balzac ; il m'a même donné un de ses romans. Mais l'autre, son nom ne me revient pas...
— Rappelez-vous, monsieur Danieli ! C'était un jeune homme blond !
— Oh ! Oui, s'écria l'hôtelier, un jeune homme blond qui a été malade chez moi, bien malade. Mais veuillez bien m'attendre un moment, je vais vous répondre avec certitude.
M. Danieli sortit, laissant en suspens ma curiosité ; il reparut presque aussitôt, tenant dans ses mains un énorme registre.
— Cherchez dans l'année 1834, lui dis-je, ou à la fin de celle de 1833.
M. Danieli tourna quelques feuilles : “M'y voilà,” dit-il, et il me désigna une signature qui me fit tressaillir.
Je lus :
“ALFRED DE MUSSET, de Paris, 7 décembre 1833.”
— Oh ! Je me souviens bien maintenant, dit l'hôtelier, en relisant à son tour ce nom et un autre qui le précédait : ce joli jeune homme blond fut gravement malade ici. C'est le vieux docteur Santini qui le soigna.
— Un vieux docteur, dites-vous ?
— Toujours accompagné d'un aide, d'un jeune élève qui faisait les saignées et donnait les purgatifs, comme c'était alors l'usage à Venise, répliqua M. Danieli.
Depuis, l'élève de Santini, ce bon Pietro Pagello, est devenu docteur à son tour ; je puis vous en parler sciemment, car je suis le parrain de sa fille aînée, qui s'est mariée cette année à Trévise.
Ce diable de Pagello a bien eu huit enfants, ma foi ! De ses deux femmes.
Il exerce à Bellune, où ou vient le consulter de tous les environs, et il serait fort heureux, s'il n'était tombé dans une surdité complète ; il n'entend pas même avec un cornet : il faut qu'on lui écrive ce qu'on lui demande, et il vous réplique lui-même de cette manière.
Il n'a pas toujours été un médecin si renommé, ce cher Pagello ; il avait fait un voyage à Paris d'où il revint très content avec un peu d'argent et une boite d'instruments pour broyer la pierre (Instruments de lithotritie).
II fit d'abord quelques opérations désastreuses qui le discréditèrent à Venise ; mais il a pris sa revanche à Bellune et dans tout le Tyrol italien.
La biographie de ce pauvre docteur devenu sourd m'intéressait médiocrement ; j'écoutais pourtant sans l'interrompre M. Danieli, qui paraissait charmé de me parler de son ami. Quand il eut fini, je lui demandai simplement :
— Était-il bien beau, ce Pietro Pagello ?
— Un gros garçon un peu court, blond, ayant l'air d'un Prussien.
— Revenons à l'autre jeune homme blond, lui dis-je ; l'appartement où il demeura existe-t-il encore dans votre hôtel ?
— S'il existe ! Il est tout près de votre chambre...
Je ne pus m'empêcher de frissonner.
— Il porte le numéro 13, continua M. Danieli ; il est situé au fond de la grande galerie à gauche.
Je me levai aussitôt.
— Conduisez-moi, m'écriai-je, je désire voir de suite cet appartement.
— Oh ! C'est facile, il est vide comme tous les autres, hélas !
M. Danieli se fit apporter une clef et marcha devant moi.
Nous montâmes l'escalier de marbre orné de bustes, puis franchîmes la grande salle d'honneur du palais Bernardo-Nani, devenue une galerie de passage.
Nous parvînmes au fond de la galerie, devant le petit escalier en bois qui conduisait à ma chambre, pratiquée, comme je l'ai dit, dans des pièces à plafonds élevés dont on avait partagé la hauteur pour en faire deux entresols.
Nous tournâmes à l'angle gauche, où est une rampe à jour qui encadre et couronne le vestibule.
Nous étions devant la porte du numéro 13 ; M. Danieli ouvrit ; nous fîmes trois pas dans un petit passage, franchîmes une seconde porte, et nous nous trouvâmes dans la chambre où Alfred de Musset avait failli mourir à Venise.
Elle communique avec une autre chambre à peu près d'égale grandeur et qui est suivie d'un grand salon dont les deux larges fenêtres s'ouvrent sur le quai des Esclavons.
L'îlot de San Giorgio est en face avec son église et son campanile qui semble flotter sur la lagune ; à droite s'élèvent la Dogana da Mar et la Salute ; à gauche, au loin, en retour du quai des Esclavons, le jardin public groupé sur les flots comme un bouquet gigantesque de fleurs aquatiques.
Je m'accoude un moment à l'une des fenêtres, puis, considérant le salon, je m'enquiers des changements qui ont été faits à sa disposition et à son ameublement.
— Le salon était plus grand au temps du jeune homme blond, me dit M. Danieli (qui désigna toujours de la sorte l'auteur de Rolla) ; nous l'avons coupé en partie pour faire un couloir de dégagement.
Il était à cette époque tendu en soie bleue foncée comme lorsque M. de Balzac l'occupa deux ans plus tard, car maintenant je me souviens des dates exactes, grâce à mon registre, ajouta l'hôtelier.
M. de Balzac avait aussi les deux chambres que vous venez de voir, poursuivit-il, rien n'a été changé à leur disposition ; les papiers seuls et les rideaux ont été renouvelés.
Nous étions rentrés dans ces deux chambres mémorables.
Je m'arrêtai dans celle qu'avait habitée Alfred de Musset, je regardai tour à tour avec attendrissement le lit où il avait tant souffert et cette glace penchée où son pâle et noble visage s'était reflété.
M. Danieli, surpris de mon examen et de mon émotion, me dit :
— M. de Balzac et ce jeune homme blond étaient donc des personnages bien importants en France ?
— Assez importants, répliquai-je en souriant de son épithète, pour que je vous conseille de mettre leurs portraits à la place des enluminures qui décorent le grand salon, et d'inscrire sur le seuil de cet appartement le nom de ces hôtes glorieux.
— Vous croyez que cela plaira aux voyageurs et les attirera ? répliqua l'hôtelier.
— Oui, répondis-je ; bien des femmes viendront ici en pèlerinage ; en attendant, voulez-vous m'y laisser quelques heures tandis que la neige tombe et que je ne puis sortir ?
— Bien volontiers, répliqua M. Danieli ; et il ajouta en se retirant : C'est une bonne idée ; je vais écrire à mon correspondant de Paris qu'il m'envoie ces deux portraits.
Quand je fus seule, je me pris à pleurer, en proie à cette angoisse de l'impuissance humaine qui évoque sans cesse, mais ne peut faire revivre ce qui n'est plus.
J'allais de sa chambre à l'autre chambre, puis au salon ; je touchais les murs, je m'appuyais aux fenêtres, il me semblait que ces meubles remuaient, qu'il était là prêt à m'apparaître vivant, jeune, beau, inspiré; n'avais-je pas entendu sa voix la nuit précédente, pourquoi donc le miracle ne s'accomplirait-il pas tout entier ?
La neige continuait à tomber du ciel plus sombre ; pas une voix ne montait du dehors, pas une gondole ne fendait la lagune ; Venise, autour de moi, paraissait morte ; j'étais moi-même saisie de vertige ; un froid funèbre me gagnait, “La mort fait voir dans la mort, pensai-je, si j'expirais ici, je le reverrais ; nous nous parlerions avec la mansuétude des fantômes ; ce serait bon et doux après tant d'orages.”
Je m'étais assise dans un fauteuil de sa chambre ; j'y restai longtemps à penser ainsi.
On vint m'arracher à l'hallucination heureuse en m'avertissant qu'une visite m'attendait.
Je trouvai le baron Mulazzani dans ma chambre ; il était arrivé à travers la neige à l'aide de ses bottes à l'écuyère.
— J'ai pensé que vous mouriez d'ennui par ce temps du Groenland, me dit-il, et qu'un peu de compagnie ne vous déplairait point.
— La grande découverte est faite, répartis-je, et cette journée est la plus intéressante que j'aie passée à Venise.
— Êtes-vous romanesque ! Me reprit-il, lorsqu'il sut de quoi il s'agissait ; êtes-vous jeune !...
— Cher baron, répondis-je, je suis en réalité plus vieille que vous, mais l'âme qui sait admirer et aimer reste entière quand le corps se détruit.
Il me railla doucement sur ce qu'il appela mon spiritualisme, et finit par me conter des anecdotes vénitiennes. »
Louise Colet - L'Italie des Italiens 1862
George Sand et la Corte Minelli à Venise
La Corte Minelli, tout près de l'Opéra Théâtre de la Fenice, fut intégrée par George Sand, qui habitait juste à côté, dans son roman Consuelo :« C'est dans la corte Minelli, près l'église San Fantin, qu'Anzoleto se trouva au moment où les horloges se renvoyaient l'une à l'autre le coup de deux heures après minuit.
Un instinct secret avait conduit ses pas vers la demeure d'une personne dont le nom et l'image ne s'étaient pas présentés à lui depuis le coucher du soleil.
À peine était-il rentré dans cette cour, qu'il entendit une voix douce l'appeler bien bas par les dernières syllabes de son nom ; et, levant la tête, il vit une légère silhouette se dessiner sur une des plus misérables terrasses de l'enceinte.
Un instant après, la porte de cette masure s'ouvrit, et Consuelo en jupe d'indienne, et le corsage enveloppé d'une vieille mante de soie noire qui avait servi jadis de parure à sa mère, vint lui tendre une main, tandis qu'elle posait de l'autre un doigt sur ses lèvres pour lui recommander le silence.
Ils montèrent sur la pointe du pied et à tâtons l'escalier de bois tournant et délabré qui conduisait jusque sur le toit.
Et quand ils furent assis sur la terrasse, ils commencèrent un de ces longs chuchotements entrecoupés de baisers, que chaque nuit on entend murmurer sur les toits, comme des brises mystérieuses, ou comme un babillage d'esprits aériens voltigeant par couples dans la brume autour des cheminées bizarres qui coiffent de leurs nombreux turbans rouges toutes les maisons de Venise. »
George Sand — “Consuelo - La Comtesse de Rudolstadt”
La Nuit du Redentore ou la Notte Famosissima vue par George Sand
« L'Île de la Giudecca, dans laquelle est située l'église du Rédempteur, étant une des plus riches paroisses, offre une des plus belles fêtes.
On décore le portail d'une immense guirlande de fleurs et de fruits ; un pont de bateaux est construit sur le canal de la Giudecca, qui est presque un bras de mer en cet endroit.
Tout le quai se couvre de boutiques de pâtissiers, de tentes pour le café, et de ces cuisines de bivouac appelées frittole, où les marmitons s'agitent comme de grotesques démons, au milieu de la flamme et des tourbillons de fumée d'une graisse bouillante, dont l'âcreté doit prendre à la gorge ceux qui passent en mer à trois lieues de la côte.
Le gouvernement autrichien (qui occupait alors Venise) défend la danse en plein air, ce qui nuirait beaucoup à la gaîté de la fête chez tout autre peuple ; par bonheur, les Vénitiens ont dans le caractère un immense fonds de joie.
Leur péché capital est la gourmandise, mais une gourmandise babillarde et vive, qui n'a rien de commun avec la pesante digestion des Anglais et des Allemands ; les vins muscats de l'Istrie à six sous la bouteille procurent une ivresse expansive et facétieuse.
Toutes ces boutiques de comestibles sont ornées de feuillages, de banderoles, de ballons en papier de couleur qui servent de lanternes ; toutes les barques en sont ornées, et celles des riches sont décorées avec un goût remarquable.
Ces lanternes de papier prennent toutes les formes : ici ce sont des glands qui tombent en festons lumineux autour d'un baldaquin d'étoffes bariolées ; là ce sont des vases d'albâtre de forme antique, rangés autour d'un dais de mousseline blanche dont les rideaux transparents enveloppent les convives ; car on soupe dans ces barques, et l'on voit, à travers la gaze, briller l'argenterie et les bougies mêlées aux fleurs et aux cristaux.
Quelques jeunes gens habillés en femmes entr'ouvrent les courtines et débitent des impertinences aux passants.
À la proue s'élève une grande lanterne qui a la figure d'un trépied, d'un dragon ou d'un vase étrusque, dans laquelle un gondolier, bizarrement vêtu, jette à chaque instant une poudre qui jaillit en flammes rouges et en étincelles bleues.
Toutes ces barques, toutes ces lumières qui se réfléchissent dans l'eau, qui se pressent, et qui courent dans tous les sens le long des illuminations de la rive, sont d'un effet magique. […]
La gondole fermée du vieux noble, la barque resplendissante du banquier ou du négociant, et le bateau brut du marchand de légumes, soupent et voguent ensemble sur le canal, se heurtent, se poussent, et l'orchestre du riche se mêle aux rauques chansons du pauvre.
Quelquefois le riche fait taire ses musiciens pour s'égayer des refrains graveleux du bateau; quelquefois le bateau fait silence et suit la gondole pour écouter la musique du riche. »
George Sand “Lettres d'un voyageur” - 1834
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Alfred de Musset - Wikipédia