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Les Colonnes de granit de la Piazzetta San Marco
Les ailes déployées et la griffe allongée
« C'est par une belle nuit d'été que le voyageur qui sait ménager ses impressions devra voir Venise pour la première fois.
Supposons qu'il arrive par l'Adriatique, et qu'il débarque sur la Piazzetta, ce vestibule de la place Saint-Marc qui s'étend du grand canal jusqu'à la Basilique.
Il mettra pied à terre sur des degrés de marbre, entre deux monolithes de granit africain, dont l'un porte au-dessus de son chapiteau le lion de saint Marc, les ailes déployées et la griffe allongée sur le livre des Évangiles ; l'autre, un saint Théodore superbe, coiffé d'un nimbe de métal, l'épée au côté, la lance au poing. »
Louis Énault - La Méditerranée, ses îles et ses bords 1863
Guardati d'all' inter colonne ! Prends garde à l'entrecolonne !
« Le peuple de Venise regarda toujours l'espace compris entre ces deux colonnes comme néfaste, et il était presque admis en proverbe de menacer ceux qu'on n'aimait pas, et qu'une dénonciation pouvait perdre, eu leur disant : Guardati d'all' inter colonne ! (Prends garde à l'entrecolonne !)
En 1329 on plaça sur une de ces colonnes, celle de granit rose, la statue en marbre de saint Théodore, ayant pour piédestal son crocodile.
Saint Théodore était le premier patron que s'était donné la République jusqu'au moment où la translation d'Alexandrie à Venise du corps de saint Marc, amena ce qu'on pourrait, sans irrévérence, appeler la destitution du premier.
Au fait, ce lion est un symbole bien plus noble et bien plus majestueux pour les armes de Venise, que ne l'eût été le crocodile, bon à faire prosterner des Égyptiens, des adorateurs d'ibis, et tous ces peuples du Nil qui choisissent leurs dieux jusque dans le potager.
Le lion, il faut en convenir, est pour beaucoup dans la poésie de l'histoire guerrière et artistique de Venise, et cette poésie eût à coup sûr été fort compromise, si au lieu du corps de saint Marc, dont un lion fut l'ami, les marchands vénitiens eussent trouvé à Alexandrie celui de saint Antoine...
L'autre colonne, celle dont le granit est gris, sert de piédestal à l'emblème de cette vieille République de quatorze siècles, au lion ailé, dont la prunelle de bronze a vu rentrer dans les lagunes, tant de flottes victorieuses.
Et ainsi de ces deux colonnes granitiques, l'une supporte l'ancien, l'autre le nouveau patron de la République, seulement, disons-le, pour mieux veiller en haute mer ce qui s'y passe, le lion a pris une position bien dédaigneuse pour le saint !
Ce lion a fait de 1797 à 1815 un séjour à Paris, indépendant dans nos opinions, même lorsqu'elles nous obligent à retourner contre notre propre nationalité la pointe de notre plume, nous ne reculerons pas à dire, comme nous l'avons du reste déjà fait ailleurs avec toute franchise, que l'enlèvement hors de Venise par nos armées du lion de saint Marc, fut un acte condamnable et indigne d'une grande nation.
Ce fût plus qu'une maladresse de la part de cette République naissante que de ravir ainsi son symbole, son emblème national à cette glorieuse République quatorze fois séculaire !
Nulle excuse ne s'offre à cette spoliation, car ce lion est tout à fait insignifiant sous le rapport de l'art, et sa matière n'a pas pu tenter l'avidité des pillards.
Passe encore à la rigueur qu'on eût pris à Venise les chevaux grecs qu'elle avait pris elle-même !
La cité conquérante subissait la peine du talion.
Mais l'emblème de saint Marc n'eut jamais dû descendre de la colonne, d'où, depuis plus de cinq cents ans, il contemplait les flots bleus de l'Adriatique, et cela, pour aller se perdre dans l'esplanade des Invalides, où sa vieille crinière républicaine dût se hérisser souvent, quand retentirent autour de lui les fêtes consulaires et les clameurs impériales ! […]
Pendant ce malencontreux et humiliant séjour à Paris, le noble animal perdit l'Évangile ouvert sur lequel s'appuyait une de ses griffes.
Quelque chaudronnier des faubourgs en aura fondu quelque ustensile sacrilège !
Deux ans après son retour sur le haut piédestal qu'il n'eût jamais du quitter, un nouvel Évangile aux feuillets de bronze lui fut rendu, et il reposa de nouveau sur le pax tibi, la patte longtemps restée en l'air.
On a répété que ce lion n'était pas le même que celui que des mains profanatrices apportèrent à Paris, et que celui-là brisé par accidenta l'époque où il devait revenir, avait été remplacé par un bronze nouveau.
Cette version acceptée trop légèrement sans doute, est tout à fait dénuée de fondement.
Elle doit du reste sembler d'autant plus absurde qu'un monstre de bronze massif ne se brise pas comme un chien de faïence. »
Jules Lecomte - Venise 1844
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