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La Cène de Léonard de Vinci à Santa Maria delle Grazie à Milan
Léonard de Vinci « La Cène ou Dernière Cène »
Fresque - Détrempe sur Enduit (460 x 880 cm) 1493/1494 - 1498
La Cène de Léonard de Vinci La Cène de Léonard de Vinci est l’une de ses œuvres les plus connues et admirées au monde ; en outre, son succès fut total auprès de ses contemporains.
Léonard de Vinci devint célèbre grâce à cette étonnante fresque représentant la « Dernière Cène », le dernier repas de Jésus avec ses disciples.
Le roi de France Louis XII fut tellement ému par cette image du « Cenacolo », du Cénacle de Léonard de Vinci, qu’il demanda qu’on la détache du mur du réfectoire du monastère afin de la transporter en France.
Une opération absolument impossible, car l’œuvre est particulièrement fragile parce qu’elle a été peinte à détrempe sur du plâtre et sa tentative de déplacement aurait causé sa destruction.
Le choix de l’instant crucial de la Cène et le génie de Léonard de Vinci
La Cène de Léonard de Vinci Le génie de Léonard de Vinci dans cette Cène ultime réside à la fois dans l’instant précis qu’il a choisi de montrer et dans sa façon de l’illustrer.
L’instant de la Cène de Léonard n’est pas celui de l’eucharistie habituellement représentée à son époque, mais celui où Jésus dit à ses apôtres : « En vérité, je vous le dis, l’un de vous me livrera ».
Stupeur, colère, incrédulité, suspicion, effroi, affolement, dénégation sont les réactions des apôtres à cette parole bouleversante leur annonçant que l’un d’entre eux est sur le point de trahir Celui auquel ils ont décidé de consacrer leur vie.
Un seul apôtre se comporte différemment de ses compagnons, c’est Judas, qui n’exprime que sa peur d’être découvert en se raidissant en arrière sur sa chaise et en serrant le sac contenant 30 deniers d’argent, le prix de sa trahison.
La Cène de Léonard de Vinci Léonard de Vinci introduit ici une nouveauté par rapport aux Cènes peintes avant lui.
On représentait Judas assis de l’autre côté de la table, en face et séparé des autres apôtres ; Léonard de Vinci pensa que ce positionnement à « l’extérieur » briserait la vague déferlante d’émotions et de réactions qu’il voulait mettre en scène.
Il a donc préféré casser les règles iconographiques en vigueur, et placer Judas parmi les autres apôtres.
L’intensité dramatique de la déclaration de la trahison est à son paroxysme dans cette œuvre de Léonard de Vinci.
La Cène de Léonard de Vinci Les apôtres sont bouleversés, désorientés, désemparés, en colère, et certains d’entre eux pressentent les conséquences dramatiques de cette scélératesse.
La révélation de la présence sournoise du mal les a plongés dans l’angoisse d’un futur plein de menaces.
Tout le génie et la puissance créatrice de Léonard de Vinci s’expriment ici.
Nous sommes à table avec eux, face à eux, le drame se déroule devant nous, et nous sommes autant bouleversés qu’eux.
La représentation de Jésus dans la Cène de Léonard de Vinci
La Cène de Léonard de Vinci Au milieu de cette agitation extrême des apôtres, Jésus est calme, pensif, il ne se révolte pas, il se soumet, il se rend, il accepte sereinement l’imminence de son destin, la trahison, l’humiliation et la mort qui s’en suivra.
La bouche du Christ est encore entrouverte, ses mots résonnent encore aux oreilles des apôtres.
Le Christ ne regarde pas ses apôtres, il ne nous regarde pas, il regarde le pain et le vin sur la table.
Jésus est déjà dans l’attitude de l’homme de douleur, il ouvre les bras à son destin comme pour l’accueillir, l’embrasser.
Il a les bras ouverts, y compris pour celui qui l’a trahi.
La Cène de Léonard de Vinci En peignant Jésus dans cette attitude, Léonard de Vinci indique le temps de l’Eucharistie, les mains du Christ qui accompagnent son regard nous présentent le pain et le vin du salut.
La représentation des mains de Jésus est un autre trait de génie du peintre, il les positionne en sens inverse, l’une avec la paume tournée vers le haut tandis que l’autre est tournée vers la table.
En inversant la position des mains, Léonard de Vinci illustre en une seule fois les deux moments des saints sacrements, celui de la consécration où Jésus prend le pain et le vin et celui de la communion quand il les offre comme son corps et le sang de l’alliance.
Ces deux mains aux gestes opposés permettent aussi à Léonard de Vinci de présenter Jésus en tant que Souverain de l’Univers ouvrant les bras pour accueillir, ou pour repousser : c’est le Christ-sacerdote, roi et juge à la fois selon saint Thomas d’Aquin.
La Cène de Léonard de Vinci Saint Thomas d’Aquin était Dominicain, ainsi que les moines de Santa Maria delle Grazie où Léonard de Vinci a peint cette Cène pour décorer leur réfectoire.
Un travail qu’il mena pendant quatre ans en leur compagnie et en suivant leurs conseils.
On imagine ses conversations avec les moines dominicains tout au long de la maturation de sa création, les réflexions qu’ils ont dû échanger et dont il a visiblement tenu compte pour représenter la figure de Jésus et l’attitude de chacun des apôtres.
C’est en analysant à fond le caractère, l’histoire, le parcours des apôtres et ce qui les a motivés à devenir les disciples de Jésus, que Léonard de Vinci a pu concevoir et représenter leurs réactions respectives à l’annonce fatidique de la trahison.
Cette annonce est une déflagration, car c’est bien de cela qu’il s’agit, comme un coup de tonnerre dans le silence et la paix d’un ciel serein, dans la paix des cœurs des apôtres dont le monde va basculer.
Comment Léonard de Vinci réussit-il à représenter l’agitation des apôtres de manière harmonieuse et ordonnée ?
Tout le génie de Léonard de Vinci fut ici mis en œuvre pour nous transmettre l’impact dévastateur de la parole de Jésus sur ses apôtres.
La Cène de Léonard de Vinci Pendant quatre ans, le peintre étudie, s’interroge, doute, cherche, dessine des esquisses, les détruit et recommence sans répit jusqu’à trouver les solutions qui le satisfont pour enfin pouvoir réaliser son chef-d’œuvre.
Il devait parvenir à montrer l’onde de choc qui frappe les apôtres et les fait sursauter, gronder, bondir de table.
Comment réussir à représenter cela d’une manière à la fois puissante, harmonieuse et suffisamment ordonnée pour que l’œil du spectateur ne se perde pas dans une profusion d’attitudes aussi diverses, exprimées par toutes ces mains, ces gestes, ces visages et ces corps vibrants d’indignation ?
La Cène de Léonard de Vinci Car il s’agissait bien d’arriver à représenter 12 personnages différents, disposés tout au long de cette table, et ce tout en exprimant toute l’intensité dramatique de l’instant où Jésus fait part de la trahison.
Comment montrer l’extrême agitation des apôtres tandis qu’au milieu d’eux Jésus demeure parfaitement calme, et ce, sans que cela puisse casser la dynamique de l’action à représenter ?
Pour ce faire, Léonard de Vinci a découpé la scène en quatre groupes de trois apôtres, en faisant attention à ce que le spectateur ne se retrouve pas face à quatre tableaux sans relation entre eux étant donné les grandes différences d’attitudes d’un bout à l’autre de la table.
La Cène de Léonard de Vinci Pour commencer, l’artiste a prolongé l’espace de la salle du réfectoire en créant une perspective plongeante et profonde réunissant toutes les parties de la fresque vers un point de fuite central : le visage du Christ.
L’effet visuel de cette perspective est tel, que l’œil ne peut que la suivre et ne peut rester fixé sur telle ou telle partie de la fresque, il est attiré vers le centre où siège le principal personnage, Jésus.
Léonard de Vinci accentue encore la puissance visuelle du point central de la perspective en positionnant Jésus devant une fenêtre, unique source de lumière.
Leonardo da Vinci's “Last Supper” La zone blanche inférieure ne figurait pas dans l’œuvre originale, c’est la trace d’une porte percée au XVIIe siècle de manière imbécile dans le mur du réfectoire, pour accéder aux cuisines !
Cette zone blanche a taillé les pieds du Christ ainsi qu’une partie de la nappe.
Pour ajouter à l’effet visuel de cette perspective dans l’organisation spatiale de la Cène, Léonard de Vinci a peint trois lunettes au-dessus de la fresque où sont représentés les blasons de la famille Sforza : une grande lunette centrale flanquée de deux lunettes de plus petite taille.
La Cène de Léonard de Vinci Et c’est un autre signe du génie de Léonard de Vinci que l’on remarque ici : il s’est servi de ces lunettes à la fois pour « ordonner » ses groupes d’apôtres, et pour « isoler » Judas.
Les groupes de trois apôtres de gauche et de droite sont précisément placés sous les deux lunettes externes et Jésus et les deux autres groupes sont peints sous la grande lunette centrale, tandis que la tête de Judas se trouve placée sous la colonne séparant la lunette extérieure gauche de la lunette centrale.
Ce n’est pas seulement Léonard de Vinci qui « extrait » Judas du groupe, c’est Judas lui-même qui se sépare de son groupe par son mouvement de recul à l’annonce de sa trahison.
Le traître « sort » de la lunette, se dénonce à nos yeux en s’écartant de la communauté des disciples, désormais il n’en fait plus partie.
Les apôtres Barthélemy, Jacques fils d’Alphée et André
La Cène de Léonard de Vinci À l’extrême gauche de la Cène apparaît le premier groupe de trois apôtres, composé de Barthélemy, Jacques fils d’Alphée et André.
Barthélemy est au bout de la table, debout, penché en avant, sa main droite serre le bord de la table tandis que l’autre y est posée, en appui, il est dans une attitude quasi agressive.
Il est prêt à bondir sur le traître et en même temps qu’il se penche en avant comme s’il espérait pouvoir réentendre la déclaration qui l'a tant perturbé.
Au centre de ce groupe se trouve Jacques fils d’Alphée ou Jacques dit le mineur, celui qui est appelé « frère de Jésus » dans l’évangile de saint Marc.
La Cène de Léonard de Vinci Cette dénomination de frère, Jacques ne la doit pas à un lien familial, mais tout simplement à sa ressemblance physique avec Jésus.
Léonard de Vinci ne manqua pas de le représenter avec un front haut et large, un nez droit et un vêtement identique et de même couleur que celui de Jésus, mais en plus pâle.
Jacques pose sa main droite sur l’épaule d’André tandis que sa main gauche touche celle de Pierre.
Des gestes utilisés par Léonard de Vinci pour nous montrer les liens entre les apôtres, mais aussi pouvoir relier visuellement ce premier groupe de trois apôtres au groupe suivant.
La Cène de Léonard de Vinci André quant à lui lève les mains en montrant ses paumes dans un geste d’indignation et de répulsion.
Alors que le visage de Jacques est peint totalement de profil, celui d’André est présenté de trois quarts, il regarde la nuque de Judas, c’est à lui que la répulsion de son geste s’adresse.
André montre également ses mains dans un geste qui signifie qu’elles sont propres, que ce n’est pas lui le traître, qu’il est innocent, tandis que la main de Judas est fermée, serrée autour de la bourse qui contient l’argent de sa trahison.
Les apôtres Judas, Pierre et Jean
La Cène de Léonard de Vinci Le groupe d’apôtres suivant montre Judas, isolé, en retrait, au visage sombre comme s’il était déjà dans l’ombre de lui-même, privé de lumière, tandis que derrière lui, Pierre et Jean sont proches, Pierre pose sa main sur l’épaule de Jean et leurs têtes sont penchées l’une vers l’autre.
Pierre demande à Jean s’il sait quelque chose de plus sur cette trahison, et Judas semble vouloir écouter ce qu’il dit.
À la demande de Pierre, Jean posa effectivement la question à Jésus, mais ce n’est pas ce qui compte en cet instant crucial représenté ici par Léonard de Vinci qui se contente d’annoncer ce qui suivra.
La Cène de Léonard de Vinci Tandis qu’il pose sa main sur l’épaule de Jean, Pierre tient encore le couteau de son repas dans l’autre, dans un geste traduisant sa nervosité et sa colère, tout comme les traits de son visage, tandis que ceux de Jean, presque féminins, n’expriment que la tristesse.
Jean est le seul apôtre qui semble garder son calme à l’annonce de la trahison, cependant ses mains croisées et serrées trahissent sa tristesse, son affliction, sa douleur.
Il sait que ce qui va se passer est inexorable, que rien ne pourra l’empêcher.
Jean était l’apôtre le plus aimé de Jésus, le voici assis juste à côté de lui, avec le même drapé sur son épaule gauche.
Léonard de Vinci a représenté Jean comme un double de Jésus, les yeux clos, la tête inclinée, et ses vêtements sont identiques à ceux de Jésus, mais aux couleurs inversées.
Lorsque Jésus se retrouvera sur la croix, il demandera à Jean de prendre soin de la vierge Marie.
Les apôtres Matthieu, Jude Thaddée et Simon
La Cène de Léonard de Vinci À droite de la fresque, à l’autre extrémité de la table, Simon fait pendant à Barthélemy ; Simon discute avec Matthieu et Jude, également appelé Thaddée.
Simon et Jude commentent l’annonce de Jésus.
Simon ne semble guère étonné par l’annonce de la trahison, tandis que Jude paraît perplexe et argumente comme le montre sa main levée vers le haut pendant que l’autre, posée sur le dos sur la table, traduit sa nervosité.
À côté d’eux, Matthieu questionne, montre son incrédulité en même temps que son anxiété en se tournant vers ses deux compagnons et en tendant les mains vers le Christ pour indiquer qu’ils sont en train de parler de lui.
Une évidence, certes, mais aussi une superbe idée de Léonard de Vinci sur le plan visuel : les mains de Matthieu, tout comme celles de Simon, sont sur la même ligne horizontale pour diriger et renvoyer le regard du spectateur vers le centre de la scène, et pour relier ce groupe d’apôtres au précédent.
Les apôtres Thomas, Jacques le Majeur et Philippe
La Cène de Léonard de Vinci Le dernier groupe d’apôtres qui se trouve directement à gauche du Christ, représente de gauche à droite, Thomas, Jacques le Majeur et Philippe.
Jacques le Majeur, au centre du groupe, ouvre grand les bras d’un geste qui signifie à la fois qu’il n’a rien à se reprocher, mais qu’il est aussi prêt à aider à découvrir le traître.
Le visage de Jacques est tendu, son regard est dur, sombre, agressif. Il veut en découdre avec celui qui va trahir Jésus.
La façon dont Jacques le Majeur ouvre les bras forme une croix avec son corps, la croix qui deviendra le symbole du christianisme.
La Cène de Léonard de Vinci Derrière Jacques le Majeur, on voit le visage interrogatif de Thomas et sa main au doigt levé pour demander à Jésus la permission de lui poser une question.
Un doigt à la double signification, car il est aussi dirigé vers le ciel, comme si la question de Thomas s’adressait également à Dieu, celui qui connaît toute la vérité.
Philippe se penche vers Jésus, implorant, les deux mains posées sur la poitrine pour dire « ce n’est pas moi » comme l’avait analysé Goethe en voyant la Cène.
Le visage de Philippe exprime la stupeur et le désarroi, et le geste de ses mains peut aussi signifier l’acceptation de la volonté divine même s’il n’est pas encore à même de comprendre le mystère à venir de la passion du Christ.
La Cène de Léonard de Vinci Les mains sur la poitrine sont en effet souvent utilisées comme un signe de soumission dans l’iconographie à l’époque de Léonard de Vinci.
La Cène de Léonard de Vinci : Un chef-d’œuvre unique au monde
Léonard de Vinci fit preuve d’un soin extrême pour traduire la symbolique de cette Cène dans toute sa profondeur théologique, pour reproduire le plus fidèlement possible les différents caractères des apôtres, dans l’expression des visages et les attitudes de chacun.Les mois, les années de recherche avant de réussir à définir et à reproduire chacun d’eux, font partie des éléments créatifs essentiels de ce chef-d’œuvre incontesté de l’artiste.
Une œuvre exceptionnelle, sans pareille qui eut un tel impact à son époque qu’aucun peintre digne de ce nom n’a plus osé peindre une Cène selon les critères en vigueur avant celle peinte par Léonard de Vinci.
Un chef-d’œuvre unique au monde qu’il faut absolument aller voir sur place afin de ressentir toute l’intensité et l’émotion qu’il nous transmet.
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